Corps Caverneux

Corps Caverneux (Reflexes – Fabien Garage – distribution Pathé Marconi - 1984)

« Des tas de Brigitte Bardot » (Bruant – Larher) / « J’ai des fourmis » (Bruant – Larher)

Je n’aurais pas dû jouer sur ce 45 tours. C’est au bassiste des Désaxés que Patrice Fabien avait d’abord proposé d’intégrer provisoirement les Corps Caverneux. Yanick n’étant pas libre, lorsque Patrice m’a offert de le remplacer, j’ai évidemment accepté. Et après avoir emprunté une de ses Fender Precision à Yanick, je me suis plongé dans l’univers de Jean-Baptiste Bruant et Gilles Larher, respectivement chanteur et guitariste du groupe.

J’ai tout de suite accroché à ces deux personnages et à leur univers. En plus de leurs compos, nous reprenions Wasted Youth (“I’ll Remember You”) et le Velvet Underground (“We're Gonna Have a Real Good Time Together”). La proximité du groupe avec le Velvet ne s’arrêtait pas à cette reprise. Après un concert au Gibus, certains accessoires retrouvés dans la loge nous valurent une interdiction de rejouer dans le club.

Même si, parfois, l’un ou l’autre membre du groupe tardait à apparaître en répétition, moins tardivement tout de même que Keith Richards qui pouvait se pointer en studio avec une journée de décalage, nous avons tout de même réussi à monter un répertoire et à enregistrer un single dans un laps de temps assez bref.

J’aimais bien cette sensation d’être en roue libre, de se laisser porter par les événements, qui semblait être le fonctionnement habituel du groupe.

Un après-midi ou nous attendions Jean-Baptiste au Studio Bel Air, dans le quartier de Picpus, l’ami Charles Hurbier, ex-Metal Urbain, alors membre de Via Viva, est venu jamer. Je me souviens d’un «God Save the Queen» assez brutal, dédiés à tous les amis tombés. La poudre faisait alors des ravages à Paris.

Nous répétions dans des endroits improbables. Outre les confortables locaux du Studio parisien, rue de Bagnolet, nous avons aussi investi un ancien décor de cinéma, dans ce qui était alors l’îlot Chalon.

Le quartier, aujourd’hui rasé pour construire les bâtiments hideux qui entourent la gare de Lyon, avait beaucoup de charme, c’était comme se balader dans un film de René Clair ou Marcel Carné. Sauf qu’à la place de Gabin ou Arletty, on y croisait plutôt des junkies venus faire leurs emplettes.

Quelques jours plus tard, nous sommes entrés au studio Garage pour enregistrer l’unique simple du groupe. Les séances commençaient le matin et, nous jugeant sans doute un peu mous, Fabien nous préparait des «petits déjeuners» vitaminés très efficaces.

Hormis un batteur qui ramait un peu pour coller au click – le talon d’Achille de la plupart des groupes d’alors –, les séances me laissent un bon souvenir. Jean-Baptiste et Gilles savaient où ils voulaient aller, en tout cas, c’est l’impression que donne le single à la réécoute.

Du fait de la proximité du groupe avec les ex-Metal Urbain, nous avons été amenés à jouer en première partie de Sex Sex Sex, le nouveau projet d’Eric Débris, qui vivait alors à Londres. C’est lors de ce concert aux 120 Nuits, boulevard de Strasbourg, que j’ai compris que je jouais dans un groupe «différent».

Ce soir-là, un Jean-Baptiste visiblement «high» expérimenta un nouveau jeu de scène qui consistait à s’allonger à plat ventre sur une table et à se mettre à… nager. Même ainsi, il restait fascinant et réussissait à imposer son comportement comme parfaitement normal.

Nous l’avons laissé barboter quelques minutes dans le cosmos et, lorsqu’il est redescendu parmi nous, le concert fut fantastique. Après nous avoir vus, le bassiste de Sex Sex Sex voulait nous inviter à Londres pour nous produire. Je pense en effet que la musique des Corps correspondait davantage à l’Angleterre qu’à la France, mais le groupe a explosé peu après. Les compos étaient puissantes, portées par la voix et la présence de Jean-Baptiste, les textes provocateurs et poétiques, mais la chimie du groupe était sans doute trop volatile.

Il m’arrive parfois d’apercevoir Gilles, notamment au Trabendo, à l’occasion de concerts: Only Ones, Flamin’ Groovies... Quant à Jean-Baptiste, c’est aujourd’hui un artiste et performer reconnu. Je l’avais perdu de vue jusqu’à ce que je le recroise lors de l’une de ses performances, à la galerie agnès b. Ce soir-là, il m’a confié que si c’était à refaire, il aurait poursuivi l’aventure des Corps Caverneux avec moi. Je ne sais pas ce que cela aurait donné.

Si vous n’avez jamais entendu parler des Corps Caverneux, c’est normal. Je ne crois pas qu’ils soient beaucoup passés en radio ni que leur press-book soit très étoffé. Reste ce 45 tours, ces deux titres qui laissent dans la bouche un goût d’inachevé. What if…?

CORPS CAVERNEUX

par Pierre Mikaïloff

En écoute: «Des tas de Brigitte Bardot»

Photo: Pierre Mikaïloff et Jean-Baptiste Bruant, Studio Garage. Photographe: Françoise Jahan.